La Perichole
Aujourd'hui, comme vous le savez,
toutes les femmes de Lima
se font voir dans leurs parures
les plus élégantes, étalant à l'envi
tout le luxe qu'elles peuvent. –
Toutes les voitures qui sont à Lima sont
au nombre de cinq: les deux vôtres,
celle de l'évêque, celle de l'Auditeur Pedro
de Hinoyosa, enfin le carrosse
de la marquise Altamirano, mon ennemie capitale,
presque aussi vieux que sa maîtresse,
mais enfin c'est un carrosse. Or donc,
ce matin, apprenant que vous gardiez
la chambre aujourd'hui, je me suis mis
en tête que vous pourriez assurere
mon triomphe sur ma rivale,
en me faisant don de ce beau carrosse qui
vous est arrivé de Madrid.
La Perichole
Vous savez, don Andres,
que je fais peu de cas de l'argent. Je ne sais
ce que vous coûte cette voiture,
mais vous êtes riche. S'il ne s'agissait pas
d'humilier des ennemies mortelles,
vous sentez bien que je ne vous aurais pas
demandé un cadeau d'une aussi grande valeur.
Au surplus, si ma demande
vous choque, oubliez-là. Si j'ai eu tort de vous la faire,
je vous en demande pardon.
J'ai le défaut d'agir d'abord, et se réfléchir ensuite.
Le Vice-Roi
Un carrosse! il ferait beau voir une comédienne en carrosse!
Êtes-vous un évêque, madame,
un Auditeur ou une marquise, pour aller en carrosse?
La Perichole
Toutes ces dames-là valent bien
une vieille marquise dont le père vendait
du drap à Cordoue pour habiller les muletiers. –
Allons, mon petit papa,
mon cher Andresillo, vous avez ri;
vous n'êtes plus de mauvaise humeur,
vous êtes charmant à votre ordinaire,
et vous me donnerez
votre carrosse, n'est-ce pas?
Le Vice-Roi
Ecoutez, vous avez tort de tourner
tout en plaisanterie. Je vous assure
que votre conduite m'est connue maintenant,
et que je ne veux plus être votre dupe.
La Perichole
Si je n'obtiens pas de vous ce carrosse,
il faudra que je m'en retourne chez moi
bien tristement; car le moyen d'aller
à cette cérémonie à pied comme
une fille du peuple, ou en chaise
à porteurs comme une bourgeoise!
et surtout après les espérances
que j'avais conçues...
Ah! monseigneur le vice-roi du Pérou,
vous êtes un cruel homme!...
Combien vous coûte ce carrosse?
Le Vice-Roi
Laissez votre carrosse, mademoiselle,
et répondez-moi. Je suis parfaitement
au fait de toutes vos actions,
et vous saurez que je ne suis plus aveuglé
sur votre compte, comme je l'étais
quand je vous aimais. Maintenant,
je ne vous aime plus, entendez-vous?
Je suis détrompé, je vous connais...
Cependent, je serais bien aise de voir
de quel air vous pourriez vous y prendre
pour vous justifier... Voyons, essayez...
parlez, que diantre! parlez...
Eh bien, à quoi pense-t-elle ainsi,
les yeux leves au ciel?