L'instruction va étudier la consistance des formations et le parcours des étudiants d'origine chinoise / Joël Philippon
Un directeur d'école privée et une intermédiaire chinoise sont écroués pour « aide au séjour irrégulier » à propos de « centaines » d'inscriptions douteuses. Révélations
Une école privée dans la tourmente, dont le directeur est mis en examen et écroué depuis le 8 mai. Une intermédiaire d'origine chinoise dans le collimateur, elle aussi sous les verrous dans le cadre de l'instruction judiciaire confiée au juge Dominique Brault, ouverte pour « aide au séjour irrégulier en bande organisée ». Depuis une dizaine de jours, la justice lyonnaise mène dans la plus grande discrétion des investigations sur une filière clandestine présumée d'étudiants chinois.
Toute la question est de savoir si leur inscription au cours Montesquieu, une école privée hors contrat basée dans le 3e arrondissement de Lyon, dissimulait une situation fictive destinée à justifier un statut d'étudiant dans le seul but de pénétrer le territoire national, sans réelle intention scolaire, à l'image d'autres dérives similaires en France.
Au centre de l'affaire, on trouve donc une femme chinoise d'une cinquantaine d'années qui anime une association et travaille dans une agence de voyage. C'est elle qui aurait orienté des étudiants vers l'école. Simple entraide, organisation répréhensible ? L'affaire doit être prise avec prudence. « On ne sait pas encore exactement comment ils sont venus en France, il faudra déterminer si leur statut d'étudiant était complètement artificiel », précise une source judiciaire.
Le cours Montesquieu dispense des cours du secondaire, avec environ soixante lycéens inscrits par an, et des formations de BTS avec une trentaine d'étudiants. Pour des tarifs allant de 2 200 à 3 000 euros par an, suivant les niveaux.
Selon les premiers éléments de l'enquête de la Sûreté départementale, environ 70 étudiants chinois s'ajoutaient à ces effectifs. Une proportion importante qui a attiré l'attention. Et le nombre pourrait dépasser les premières évaluations. Selon une source proche du dossier, « plusieurs centaines de cas douteux sur plusieurs années » sont à l'étude.
De son côté, le directeur de l'école a contesté toute intention délictueuse. « Il n'a jamais voulu participer à une quelconque filière d'immigration clandestine. Dans les dossiers d'inscription, les jeunes gens avaient des cartes de séjours valables » tient à préciser Me Christophe Neyret, son avocat. Le directeur se serait même soucié de l'absentéisme de ces éléves chinois, en adressant un courrier à l'ambassade chinoise à Paris. D'ailleurs sur son site, l'école prévient qu'elle sera intraitable avec « les absences et les retards » et qu'elle signalera aux familles « toute anomalie ».
Le classeur qui a éveillé l'attention...
Toute l'affaire de filière chinoise présumée est partie d'un classeur, trouvé dans les locaux d'un organisme de formation en lien avec le cours Montesquieu. Sur lequel il était indiqué « Etudiants chinois ». Et qui référençait des dizaines d'inscriptions. Ce classeur a été découvert à l'occasion d'une enquête orientée au départ sur des délits présumés de travail dissimulé et de fraude aux Urssaf.
Dans ce volet du dossier, deux autres personnes, proches du directeur, sont mises en examen et placées sous contrôle judiciaire.
Après la découverte du classeur, l'enquête a donc pris un tout autre tour, avec un deuxième volet qualifié « d'aide au séjour irrégulier ». Désormais, l'instruction judiciaire a pour objectif d'étudier la consistance des formations et le parcours des étudiants d'origine chinoise.
Le directeur de l'institut et la gérante de l'agence de voyage sont en détention préventive depuis le 8 mai / Photo Joël Philippon
Révélations supplémentaires dans l'affaire présumée d'étudiants chinois. Inscriptions non comptabilisées, dizaines de milliers d'euros de bénéfices, un fonctionnaire entendu
Près de 500 étudiants venus de Chine ont été inscrits depuis 2006 à l'institut supérieur de commerce de Lyon (ISDC), basé dans le 3e arrondissement. Sauf qu'ils ne sont jamais apparus dans la compatibilité de ce centre créé sous la forme juridique d'une association, dont dépend le cours Montesquieu, qui dispense des cours de la seconde aux classes préparatoires, hors contrat avec l'Education nationale. Mieux, l'instruction judiciaire ouverte pour « aide au séjour irrégulier » estime que ces étudiants n'y mettaient quasiment jamais les pieds - avec un taux d'assiduité évalué à 15 % - le reste du temps en général employés dans la restauration asiatique. En revanche, les euros s'ammassaient, à 1 300 euros l'inscription, et des années de master grimpant à 3 000 euros. Florence Yao, 51 ans, gérante d'agence de voyage, d'origine chinoise naturalisée française, jouait l'intermédiaire contre 210 à 250 euros par inscription. De 30 000 à 40 000 euros par an atterrissaient sur les comptes de l'association d'entraide qu'elle avait créée. Non sans prélever une part à des fins personnelles. L'enquête s'est aussi intéressée à un proche, fonctionnaire au service des étrangers de la préfecture du Rhône, entendu sans qu'un rôle ne lui soit reproché dans cette filière présumée.
Quand au directeur de l'institut, Hervé Martin, 59 ans, déjà épinglé en 2007 pour travail dissimulé, il admet avoir bénéficié de 120 000 euros. Il accordait même des remises : dix étudiants inscrits, le onzième gratuit ! Malgré « une scolarité évanescente » selon l'expression d'un haut magistrat, les étudiants se voyaient remettre un certificat de scolarité en fin d'année. Ce qui favorisait l'obtention d'un titre de séjour. Mais attention, une rude bataille pénale est engagée. « Parler de bande organisée donne l'impression de gonfler un ballon qui va finir par exploser, rien n'est démontré » dit Me Samir Bellasri. « Il a agi par intérêt mais jamais dans l'intention de favoriser l'aide aux clandestins » ajoute son confrère Christophe Neyret. Les deux avocats ont déposé hier une demande de remise en liberté pour Florence Yao et Hervé Martin, en détention préventive depuis le 8 mai. La chambre de l'instruction rend sa décision aujourd'hui. Les avocats insistent sur un point : un titre de séjour provisoire était acquis avant l'inscription, les étudiants n'étaient pas en « situation irrégulière ». Oui, mais la pseudo-scolarité permettait de le prolonger, observe l'accusation. Autre problème : comment étaient accordés leurs visas dans des conditions aussi incertaines ? Le juge d'instruction pourra essayer de s'inviter dans les ambassades pour poser la question.
La demande chinoise explose : « Prêts à payer tout à n'importe qui »
Entre 1979 et 2000, on a compté 200 boursiers chinois à Lyon. Ils sont aujourd'hui entre 3 000 et 4 000 étudiants. La demande de formation des chinois à l'étranger a explosé ces dernières années. Pourquoi ? La Chine a incité les familles à se limiter à un enfant unique, qui est devenu la chance unique, l'avenir incarné de la famille, prête à tout pour qu'il réussisse. Le système éducatif chinois étant très sélectif ou limité, les familles n'hésitent plus à chercher des formations à l'étranger. De préférence aux Etats-Unis. En France, un peu par défaut. Quelqu'en soit le prix. « L'éducation est devenu un marché, on est prêt à payer tout à n'importe qui » dit Alain Labat, chargé de mission de l'Inspection. Les sommes d'argent en jeu sont « collossales », estime ce grand spécialiste des rapports franco-chinois. Des filières extrêmement sérieuses se développent, comme à l'INSA, dans les écoles centrales. A côté, fourmillent des situations précaires, voire des arnaques pures et simples, le plus souvent dans l'enseignement privé hors contrat. A sa manière, dans ses déclarations, Mme Yao, intermédiaire présumée dans la filière actuellement dans le collimateur, a résumé cette demande : « En Chine ils ont besoin d'être incrits quelque part pour venir en France, il faut un projet d'étude pour l'ambassade ».
Le directeur d'une école privée lyonnaise et une Française d'origine chinoise mis en examen et écroués dans le cadre d'une enquête sur une filière clandestine présumée d'étudiants chinois à Lyon, ont été mercredi libérés sous contrôle judiciaire.
"La chambre d'intruction de la cour d'Appel de Lyon a réformé la décision du juge de la liberté et de la détention du maintien en détention provisoire de mon client", a déclaré sans plus de précisions l'avocat du directeur, Me Christophe Neyret.
Hervé Martin, 59 ans, directeur de l'Institut supérieur de commerce (ISDC), une école privée hors contrat, et Florence Yao, 51 ans, gérante d'agence de voyage, soupçonnée d'avoir servi d'intermédiaire depuis plusieurs années, doivent respectivement s'acquitter d'une caution de 20 000 et 15 000 euros
Le directeur de l'ISDC, a été poursuivi le 8 mai pour "travail dissimulé, abus de confiance et aide au séjour irrégulier", ce qu'a contesté son avocat qui a déposé mardi une demande de remise en liberté.
Les étudiants chinois visés "disposaient d'un titre de séjour régulier délivré par l'ambassade de France en Chine", selon Me Neyret.
Les enquêteurs soupçonnent ces étudiants de s'être inscrit dans le seul but d'obtenir des papiers pour séjourner en France, en ayant un statut étudiant sans assister aux cours.
L'affaire a débuté à la suite d'une plainte de l'Urssaf pour des délits présumés de fraude et de travail dissimulé. Lors d'un contrôle, les enquêteurs ont mis la main sur des dossiers portant la mention +étudiants chinois+.
Selon Me Neyret, le directeur de l'ISDC a été contacté par une Française d'origine chinoise, qui lui a dit que des étudiants chinois cherchaient des cours de remise à niveau en France, en français et en maths.
"Il y a trois ou quatre ans, ils ont signé une convention écrite, convenant de frais de scolarité pour un module de 12 heures par semaine de remise à niveau pour pouvoir postuler ensuite sur d'autres filières", a-t-il dit, soulignant que depuis cette date, l'ISDC accueille chaque année quelque 70 Chinois.
La prudence des enquêteurs;[/color]
Au centre de l'affaire, on trouve donc une femme chinoise d'une cinquantaine d'années qui anime une association et travaille dans une agence de voyage. C'est elle qui aurait orienté des étudiants vers l'école. Simple entraide, organisation répréhensible ? L'affaire doit être prise avec prudence. « On ne sait pas encore exactement comment ils sont venus en France, il faudra déterminer si leur statut d'étudiant était complètement artificiel », précise une source judiciaire.
Le cours Montesquieu dispense des cours du secondaire, avec environ soixante lycéens inscrits par an, et des formations de BTS avec une trentaine d'étudiants. Pour des tarifs allant de 2 200 à 3 000 euros par an, suivant les niveaux.
Selon les premiers éléments de l'enquête de la Sûreté départementale, environ 70 étudiants chinois s'ajoutaient à ces effectifs. Une proportion importante qui a attiré l'attention. Et le nombre pourrait dépasser les premières évaluations. Selon une source proche du dossier, « plusieurs centaines de cas douteux sur plusieurs années » sont à l'étude.
De son côté, le directeur de l'école a contesté toute intention délictueuse. « Il n'a jamais voulu participer à une quelconque filière d'immigration clandestine. Dans les dossiers d'inscription, les jeunes gens avaient des cartes de séjours valables » tient à préciser Me Christophe Neyret, son avocat. Le directeur se serait même soucié de l'absentéisme de ces élèves chinois, en adressant un courrier à l'ambassade chinoise à Paris. D'ailleurs sur son site, l'école prévient qu'elle sera intraitable avec « les absences et les retards » et qu'elle signalera aux familles « toute anomalie ».