Cinq questions sur le baril de pétrole à 100 dollars 关于原油价格超过百美元的五个问题
Un peu plus de 20 dollars début 2002, 100 dollars aujourd'hui : aucun expert n'avait prévu que le prix du baril de pétrole (159 litres) aurait été multiplié par cinq en cinq ans. Décryptage d'une flambée qui s'annonce durable.
Le prix va-t-il continuer de monter ?油价会继续上涨么? Un baril de brut à 100 dollars n'est " pas nécessairement très élevé ", vu la forte demande et les coûts d'extraction en hausse, a estimé, hier, le ministre du pétrole algérien Chakib Khelil, qui a pris, le 1er janvier, la présidence tournante de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). La consommation d'or noir va croître en 2008 (de l'ordre de 1,8 million de barils par jour, selon le ministère américain de l'énergie). Elle viendra de Chine, d'Inde, des pays du Golfe et des Etats-Unis – sauf récession dans ce pays. La Chine consomme à elle seule près de 10 % du pétrole produit dans le monde. Son parc automobile sera multiplié par sept d'ici à 2030. Or, il n'existe aucun substitut crédible au pétrole, même si agrocarburants et voitures hybrides (essence-électricité) vont se développer. Quel est le rôle des spéculateurs ? Depuis un an, rien ne justifie une telle flambée, les données (crises géopolitiques, ouragans...) n'ayant pas fondamentalement changé. Le "coussin de sécurité", dans lequel on peut puiser en cas de crise dans un pays producteur, s'est même reconstitué (2,5 millions de barils). Mais les spéculateurs jouent sur les tensions offre-demande pour faire monter les cours. Depuis la crise des "subprimes" (prêts immobiliers à risque) aux Etats-Unis, les financiers quittent les actifs traditionnels (actions, obligations...) pour fondre sur les matières premières. Le dollar est la monnaie dans laquelle est payé le brut et sa faiblesse actuelle permet aux détenteurs d'autres devises d'en acheter à bon prix.
Le monde manque-t-il de pétrole ? 这个世界缺油么? "Il y a bien assez de réserves mais pas assez de capacités de production pour faire face à la demande ", souligne Christophe de Margerie, directeur général de Total. Les pays consommateurs demandent à ceux de l'Opep de pomper davantage d'or noir pour reconstituer leurs stocks à l'approche de l'hiver, notamment aux Etats-Unis, qui consomment un quart du brut mondial. Mais l'Opep préfère pour l'heure engranger des pétro-dollars que gagner des parts de marché en rouvrant le robinet. On estime qu'elle pourrait mettre chaque jour sur le marché au moins 2 millions de barils supplémentaires, ce qui permettrait de faire baisser les prix.
Avec un baril à 100 dollars, l'extraction des pétroles lourds et/ou inaccessibles devient rentable. On fore désormais par plus de 3 000 m de profondeur d'eau et, à terre, des gisements sont enfouis à plus de 6 000 mètres. Quant aux schistes ou sables bitumineux (Canada, Venezuela...), on estime leur potentiel à 600 milliards de barils. Si l'on prend en compte ces "huiles" lourdes, le Canada est le deuxième pays pétrolier derrière l'Arabie saoudite.
Que font les compagnies pétrolières de leurs profits ? 石油公司的利润哪里去了? Au total, les cinq majors du pétrole (Exxon, Shell, BP, Total, Chevron) ont engrangé 20 milliards d'euros au seul troisième trimestre 2007. Cela leur permet de rétribuer confortablement les actionnaires. Mais elles doivent également financer des projets de plus en plus coûteux à mesure que les zones de production deviennent difficiles d'accès et les défis technologiques plus grands. Les prix des équipement (bateaux, plate-formes, câbles...) ont été multipliés par deux ou trois depuis 2005 et la main d'œuvre spécialisée se fait rare. La facture du grand projet de Sakhaline 2, dans l'extrême-Orient russe, est passée de 10 à 22 milliards de dollars, celle de Kashagan (Kazakhstan) de 30 à 140 milliards ! Les grands gagnants de la flambée du brut sont moins les compagnies que les pays producteurs, dont les "fonds souverains", liés à l'Etat et alimentés par les recettes pétrolières, investissent un peu partout dans le monde. L'Abu Dhabi Investment Authority, l'un des plus importants fonds souverains du monde, a investi 7,5 milliards de dollars, en novembre dernier, pour prendre 4,9 % du capital de l'américain Citigroup, première banque mondiale.
Les énergies alternatives profitent-elles du renchérissement du pétrole ? 其他能源能够借高油价得到发展? Désastreux pour le porte-monnaie des ménages – le prix du gazole a doublé en cinq ans, pour atteindre 1,15 euro le litre –, le pétrole cher a aussi des vertus. Certains écologistes s'enthousiasment, persuadés qu'il va entraîner une baisse de la consommation d'énergie et de la pollution, une limitation des échanges commerciaux et même la relocalisation de nombreuses productions. Finies les roses péruviennes qui font 16 000 kilomètres jusqu'à l'étal du fleuriste français ! Mieux, disent-ils, la flambée du brut rend les énergies renouvelables (biomasse, éolien, solaire...) de plus en plus compétitives. Dans les pays développés du moins. Car la consommation d'essence est très subventionnées dans de nombreux pays émergents, ce qui grève le budget des Etats pauvres, et la rend relativement insensible à la flambée des prix.
Assiste-t-on à un troisième choc pétrolier, après ceux de 1973 (guerre israélo-égyptienne) et de 1979 (révolution islamique en Iran) ? 会发生新一次石油危机么? Dans les années 1970, il y a avait eu "choc" parce que certains pays producteurs de l'Opep avaient décrété un embargo contre des pays consommateurs accusés de soutenir Israël. L'offre s'était brusquement tarie, entraînant une multiplication par quatre du cours de l'or noir en 1979. Mais ces cinq dernières années, jamais le marché n'a été à court de pétrole, à l'exception de quelques semaines en septembre 2005 après le passage du cyclone Katrina.
En valeur réelle, le brut a retrouvé son pic de 1980, mais il lui a fallu cinq ans (et non quelques mois) pour voir son prix quadrupler, même si la hausse s'est accélérée depuis 2005. Le prix du brut a augmenté de 57,2 % en 2007, un choc partiellement amorti en Europe par la vigueur de l'euro face au dollar. Par rapport aux années 70, la donne économique a changé. C'est la soif inextinguible des Chinois, des Indiens et des Américains – signe de la bonne santé de l'économie mondiale, même si la crise des subprimes aux Etats-Unis menace le pays d'une récession – qui a crée les tensions sur le marché et contribué à renchérir les prix.
Les économies des pays industrialisés sont moins dépendantes de l'or noir qu'autrefois ; il leur faut moins de pétrole qu'il y a trente ans pour créer la même richesse (automobiles, téléviseurs...). Enfin, l'inflation a été maîtrisée, alors que dans les années 1970, l'indexation des salaires sur les prix entraînait une répercussion des prix à la pompe sur les salaires et une flambée de l'inflation. Pour combien de temps ? Les indices de prix publiés un peu partout dans le monde depuis le début de l'année font état de tensions inflationnistes croissantes. En Espagne, le taux a atteint 4,3 % en décembre, le chiffre le plus élevé depuis onze ans. En Allemagne, l'inflation s'inscrit à 2,2 % en moyenne en 2007, son niveau le plus élevé depuis 1993.
Jean-Michel Bezat