Il se trouve que j'ai servi en Afghanistan en tant que soldat, pas à l'époque de la prise d'otage mais avant et après. J'ai lu dans la presse que les journalistes ont été enlevés au niveau du village d'Omarkhel, un fief taliban. J'ai halluciné quand j'ai lu cela. L'armée française ne pouvait pas approcher cette zone sans se faire tirer dessus systématiquement. J'en sais quelque chose puisque j'ai participé à une mission dans le secteur en 2009 où nous avons été pris en embuscade pendant 8 heures, bien que nous venions juste pour évaluer des travaux. Aucune ONG ne se rendait dans ce secteur, même les Afghans modérés avaient peur. Pour les journalistes, s'aventurer sans prévenir personne dans ce territoire me paraissait totalement irresponsable. Que cherchaient-ils donc? Cherchaient-ils à jouer au héros? Etaient-ils assez naifs pour croire qu'ils allaient pouvoir dialoguer avec des Talibans fanatiques et des brigands? Connaissaient-ils sufisamment le pays pour savoir dans quel guépier ils allaient se fourrer? Visiblement non.
Ce qu'on ne dit pas dans la presse, c'est que leur témérité et leur inconscience, outre le fait qu'elle a mis leurs propres vies et celles de leurs accompagnateurs en danger, a aussi mis la vie des soldats français en danger. Combien d'opérations ont dû être menées pour les localiser? Combien d'opérations contre les Talibans n'ont pas été menées à leur terme par peur de toucher des groupes proches des preneurs d'otages, mettant ainsi leur vie en danger. Un Afghan qui travaille avec l'armée française m'a affirmé que notre peur de nous attaquer de front aux Talibans était due aux journalistes emprisonnés. Ce faisant, cette situation a permis aus réseaux Talibans de s'acheter en quelque sorte une garantie pour pouvoir continuer à nous harceler dans une relative impunité. J'ai vu sufisamment de cercueils passer pour savoir quels sacrifices notre armée doit consentir dans cette guerre que j'estime juste. On n'avait certainement pas besoin d'offrir ainsi aux Talibans des moyens de chantage énormes pour compliquer grandement une tâche déjà difficile.
L'année dernière, des villageois de la vallée d'Afghanya et de Ghayne, formés en milice, ont appelé l'armée française à la rescousse pour repousser une offensive des Talibans. Nous ne sommes pas intervenus et avons laissé les courageux villageois se débrouiller par eux-mêmes. Un lieutenant-colonel de l'état-major m'a confié que si nous sommes restés dans notre base, c'est parce que le groupe d'assaillants était proches des preneurs d'otages et que nous ne voulions pas les "provoquer".
Quelqu'un dira-t-il un jour cette vérité aux journalistes qui ont voulu jouer aux héros? Sauront-ils prendre conscience, au-delà de leur traumatisme personnel, du mal qu'ils ont causés, non seulement à l'armée française, mais à la population afghane? Leur responsables sauront-ils aussi prendre conscience de cela? Si vraiment, ils avaient voulu prendre contact avec des Talibans pour avoir leur point de vue, ils auraient du passer par des intermédiaires fiables. Mais cela ne s'improvise par à partir de Paris. Seuls des correspondants permanents, bien implantés, peuvent se permettre ce genre d'approche, à mon sens.
Je souhaite bien entendu la libération des journalistes et de leurs accompagnateurs. Mais qu'on en fasse pas des héros. Ce serait indécent. Et si ils sont victimes, c'est malheureusement d'abord à cause de leur inconsience et de leur inconséquence.