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L'intelligence du cheval
par
Dennis POTTENGER
De sombres nuages traversent le ciel hivernal tandis que Coco Bean, trois ans, se tient entre quatre pylônes de plastique orange. La scène se déroule dans un enclos parsemé de petites flaques de pluie, au milieu des collines proches de Santa Cruz, Californie. Le cheval concentre ses yeux bruns sur les panneaux de bois fixés aux barres métalliques du corral, à environ 4,5 mètres devant lui. Deux jeunes femmes se tiennent derrière les panneaux. Bientôt, l'une d'elles fait passer une cuvette attachée à une corde par-dessus le haut du panneau. Au même moment, un autre objet apparaît: un gros crayon en plastique. Le docteur Evelyn HANGGI, co-fondatrice et présidente de l'institut de recherche Equine research foundation, est assise dans une chaise à la gauche de Coco Bean.
Cinq secondes après l'apparition des deux objets, un assistant laisse tomber à terre la corde qu'il tenait tendue devant le poitrail du cheval. Ce signal lui indique qu'il est invité à avancer vers les panneaux pour choisir l'un des deux objets. Coco Bean marche vers la cuvette et la touche avec son nez. "Très bien.", dit le docteur HANGGI, alors qu'au même moment une des femmes derrière les panneaux verse une cuillerée de friandises (Un mélange d'avoine, d'orge, de froment et d'éclats de maïs, parfumé à la mélasse.) dans un récipient en plastique noir. Coco Bean baisse la tête, déguste sa récompense, puis retourne entre les pylônes.
En cette froide fin d'après-midi, le docteur HANGGI et son équipe de volontaires vont pendant 45 minutes guider Coco Bean à travers une série de tests. Evelyn HANGGI explique que le cheval a appris au cours des sessions précédentes que certains objets ont plus de valeur que d'autres. La cuvette, par exemple, a plus de valeur que le crayon. Mais le crayon a plus de valeur que la balle, qui elle même en a plus que la batte de base-ball, et ainsi de suite avec la pelle et le sabre en plastique.
"Un grand nombre de personnes, dont beaucoup d'entraîneurs, pense encore que le cheval ne peut pas généraliser, qu'il ne peut pas utiliser le raisonnement.", déclare le docteur HANGGI après la fin de la session. "Mais l'expérience que nous venons de faire est justement un test de raisonnement. Coco Bean nous a montré qu'il comprend le concept de valeur, et qu'il est capable de déterminer la relation d'ordre entre A et C s'il sait que A est plus grand que B et B plus grand que C. Au fur et à mesure que nos recherches progressent, nous découvrons que les chevaux ont des capacités de réflexion plus avancées qu'on ne le pensait auparavant."
Une vie meilleure
Evelyn HANGGI laisse une botte reposer sur la planche inférieure de la barrière de bois, alors qu'elle contemple ses chevaux en train de brouter dans un champ descendant en pente douce au creux d'une gorge plantée d'arbres. En termes pratiques, la scientifique déclare:
"Ce que nous essayons de faire, c'est d'améliorer la vie du cheval. Il y a des millions de chevaux dans le monde dont l'humanité tire profit d'une manière ou d'une autre. Malheureusement, en ne comprenant pas leurs besoins physiques et mentaux, les gens soumettent les chevaux à des traitements inutilement rudes et stressants. Les éléments psychologiques tels que ressentir, réfléchir, se souvenir sont des processus cognitifs affectant le bien-être général d'un animal, donc sa santé et ses performances. Si nous voulons apporter à nos chevaux le meilleur environnement et les meilleures méthodes d'éducation et d'entraînement, nous devons comprendre leurs processus cognitifs et motivationnels."
Les recherches du docteur HANGGI montrent que les chevaux peuvent raisonner, apprendre des catégories et utiliser un certain nombre de concepts pour résoudre des problèmes impliquant des relations complexes. Son travail a aussi appuyé d'autres recherches ayant montré que les chevaux peuvent voir les couleurs, en contradiction avec la croyance commune selon laquelle les animaux ne peuvent les distinguer. Cette confirmation vint durant un test impliquant Ellie, une jument anglo-arabe de dix ans. Lors de la troisième tentative d'Ellie dans une nouvelle expérience, consistant pour elle à choisir une plaque bleue au détriment d'une plaque rouge, premier appariement qu'elle avait à apprendre, les deux objets lui furent présentés. L'assistant relâcha la corde attachée au pylône et Ellie, toujours appliquée, regarda la plaque rouge et commença à se diriger vers elle. Puis la jument marqua une halte soudaine, regarda la plaque bleue, et changea d'avis.
"On aurait pu voir les rouages tourner.", écrivit plus tard un volontaire. "A partir de ce moment, elle fut constante sur le bleu."
La coordination des couleurs
Jerry INGERSOLL, co-fondateur de l'institut, admet que bien que les recherches du docteur HANGGI n'aient pas pour but de déterminer si les chevaux ont ou non une préférence ou une aversion pour certaines couleurs, ce type de réaction est tout à fait possible.
"Le propriétaire d'une boutique d'articles de sellerie m'a dit un jour que sa fille faisait de la compétition d'obstacle avec un cheval ayant apparemment une aversion envers le bleu. Chaque fois qu'elle le monte, son cheval a des problèmes avec les obstacles peints de cette couleur, pouvant aller jusqu'au refus. Seul le fait que l'obstacle soit bleu compte, son type et sa forme semblant être indifférents. Ce cas n'est pas unique. De nombreux cavaliers ne s'en apercevront sans doute même pas et ne pourront pas faire le rapprochement entre leur problème et la couleur de l'obstacle. Ils mettront cela sur le compte de la mauvaise humeur du cheval ce jour là, accuseront son entraînement, ou trouveront une autre excuse. Utiliser ce genre de prétextes devient rapidement une habitude, alors qu'en fait ce dont nous avons réellement besoin, c'est certes d'être conscients de l'humeur et de la disposition de notre cheval, mais plus encore de comprendre quelle est la cause réelle de son comportement afin de mieux savoir comment y réagir. Réaliser que la couleur pourrait jouer un tel rôle nous donne un outil supplémentaire dans notre recherche d'un meilleur partenariat avec nos chevaux."
Améliorer les relations
Au delà d'apporter des preuves scientifiques des aptitudes cognitives spécifiques au cheval, le docteur HANGGI ajoute que son travail comporte aussi des enseignements pratiques destinés à aider les cavaliers à améliorer les rapports qu'il ont avec leur monture.
"Etre certain qu'un animal peut effectivement percevoir une différence entre les divers stimuli doit être un souci dans toute expérience; un test peut échouer du fait d'un protocole expérimental mal conçu, et non du fait des facultés d'apprentissage de l'animal. Il faut en permanence garder cela à l'esprit quand on entraîne un cheval. Peut-être celui-ci n'arrive-t-il pas à apprendre ce que vous voulez lui enseigner parce que vous n'utilisez pas une méthode qu'il est capable de comprendre, et non pas parce qu'il n'est pas capable d'apprendre. Donc, avant de décréter que votre cheval est trop bête pour apprendre le passage, réfléchissez à la manière dont vous le lui demandez avec vos jambes et vos mains. Peut-être lui envoyez-vous des signaux contradictoires, induisant en lui trouble et confusion. Si votre méthode d'éducation ne fonctionne pas, soyez flexible et essayez-en une autre. Le problème pourrait bien ne pas être dû au fait que votre cheval n'est pas assez intelligent pour retenir ce que vous voulez lui apprendre; il se peut qu'il ne comprenne tout simplement pas ce que vous lui demandez de faire."
Un pâle soleil de fin d'après-midi passe au travers des nuages alors qu'Evelyn HANGGI regarde Jerry INGERSOLL donner une carotte à Tinket's Remedy, un quarter-horse de huit ans.
"Beaucoup de gens", poursuit-elle, "mettent une selle sur le dos de leur cheval et le montent, et c'est à cela que se limite le temps qu'ils consacrent à travailler à consolider la relation qu'ils ont avec lui. Ce que nos recherches montrent, c'est que les chevaux sont des animaux extrêmement intelligents et sensibles, dont les besoins psychiques et physiques sont très loin d'être satisfaits si on ne leur accorde qu'une demi-heure d'exercice de temps en temps et qu'on les contraint à passer le reste de leur vie immobiles dans un box où ils n'ont rien à faire. Les chevaux ont besoin de s'ébattre en liberté, d'être pansés et soignés, et de contacts sensoriels. Mais une des choses que beaucoup de gens ne réalisent pas, c'est qu'ils ont aussi besoin d'exercer leur intelligence. Si vous possédez un cheval, faites tout ce que vous pouvez pour stimuler son cerveau. Jouez avec lui, faites preuve d'inventivité. Plus vous stimulerez son esprit, plus votre cheval sera capable d'apprendre et d'accepter facilement les choses nouvelles."
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