Le soleil avait peu à peu retiré ses rayons d'or de l'aire au bord de la rivière. Dans le feuillage des arbres à suif, sur la berge, passait enfin un souffle desséché; des moustiques bourdonnaient sous les branches. La fumée des foyers paysans était moins dense, femmes et enfants aspergeaient le sol devant les maisons et sortaient tables basses et tabourets. Tout indiquait l'heur du repas du soir.
Assis sur de petits tabourets, les vieilles gens et les hommes bavardaient, agitant de grands éventails en feuilles de palmier. Les enfants couraient ou, accroupis sous les arbres à suif, jouaient avec des cailloux. Les femmes apportaient les légumes séchés noirs et le riz jaune, cuits à la vapeur et fumants. Des lettrés qui passaient en barque de plaisance, pris de lyrisme, s'exclamèrent: « Si loin de tout souci! Voici l'authentique bonheur champêtre ! »
Mais la réalité leur échappait quelque peu ; ils n'avaient pas entendu la vieille Grand-mère Neuf-livres. Furieuse, elle frappait les pieds de son siège avec son éventail de palmier déchiré.
– J'ai soixante-dix-neuf ans de vie, c'est bien assez, disait-elle. Je ne veux pas voir tout s'en aller à vau-l'eau. Tiens ! Je préférerais mourir... C'est l'heure de manger, et vous continuez à dévorer des fèves grillées, vous allez engloutir foyer et maison !
Son arrière-petite-fille, Six-livres, venait à elle en courant, des fèves dans la main ; mais voyant la situation, elle galopa vers la rivière, se cacha derrière un arbre à suif, puis passant sa tête ornée de deux couettes, s'écria :
– Vieille troupe -la-mort !
Si la vieille Grand-mère Neuf-livres était d'un grand âge, elle n'était pas sourde pour autant ; cette fois, cependant, elle n'entendit pas et continua à marmonner : « Vraiment ! Chaque génération est pire que la précédente ! »
Le village avait une coutume assez étrange : les enfant y étaient pesés à leur naissance et leur poids leur servait de prénom. La vieille Grand-mère Neuf-livres avait commencé à trouver à redire à tout depuis son cinquantième anniversaire ; jamais le soleil n'avait été si brûlant dans sa jeunesse, ni les fèves aussi dures que maintenant. En un mot, le monde dégénérait. Sinon, pourquoi Six-livres aurait-elle pesé trois livres de moins que son arrière-grand-père et une livre de moins que son père, Sept-livres ? C'était l'évidence. Aussi répéta-t-elle avec force :
– Vraiment ! Chaque génération est pire que la précédente !
La femme de son petit-fils, Belle sœur Sept-livres, arrivait à la table avec un panier de riz. Elle le posa brusquement et dit, mécontente :
– Voilà que vous recommencez, Grand-mère ! Six-livres ne pesait-elle pas six livres et cinq onces à sa naissance ? La balance qu'on utilise chez vous est d'un modèle privé, elle fait dix-huit once à la livre, et Six-livres, pesée avec une balance juste, à seize onces, aurait dépassé les sept livres. Je ne crois pas que grand-père et père faisaient vraiment neuf et huit livres. On se servait peut-être de balances à quatorze onze, à l'époque...
– Chaque génération est pire que la précédente !
Belle-sœur Sept-livres aillait riposter, mais comme son mari débouchait de la ruelle, elle changea de cible et cria :
– Où t'es-tu fait tuer pour rentrer à pareille heure, espèce de cadavre ambulant. Que tout le monde t'attende pour se mettre à table, c'est le moindre de tes soucis !
Si Sept-livres était du village, il nourrissait cependant depuis toujours l'ambition de s'élever au-dessus de sa condition. De son grand-père jusqu'à lui, depuis trois générations, pas un mâle de la famille n'avait mis la main sur une houe. Il était batelier, comme son père. Il allait chaque jour de Lou-tchen à la ville, partait tôt le matin et rentrait vers le soir. Il était donc au courant de ce qui se passait. Ainsi, il pouvait vous dire en quel endroit le Dieu du Tonnerre avait frappé à mort un esprit de scolopendre, et citer le district où une vierge avait mis au monde un démon. Il s'était fait un nom dans le village, mais sa famille, s'en tenant aux coutumes, n'allumait pas la lampe pour le repas du soir ; s'il rentrait tard, il devait s'attendre à des reproches.
Il avait à la main sa pipe de bambou moucheté, longue de six pieds, à l'embouchure d'ivoire et au fourneau de cuivre blanc. Il arriva sans se presser, la tête basse, et s'installa sur un petit tabouret. Six-livres en profita pour reparaître ; elle se glissa à côté de lui, l'appela, mais son père ne répondit pas.
– Chaque génération est pire que la précédente ! Grommela la vieille Neuf -livres.
Sept-livre leva lentement la tête, et annonça avec un soupir ;
– L’Empereur est remonté sur le trône.
“一代不如一代!”九斤老太说。
七斤慢慢地抬起头来,叹一口气说,“皇帝坐了龙庭了。”
Un instant, sa femme en resta muette de stupeur, puis comme si une lumière s'était faite dans son esprit, s'exclama :
– Mais c'est très bien ! Si l'Empereur revient, il y aura une nouvelle amnistie !
– C'est que … Je n'ai pas de natte, dit Sept-livres avec un nouveau soupir.
– Est-ce que l'Empereur exige qu'on ait une natte ?
– Oui.
– Comment le sais-tu ? S'empressa-t-elle de demander, plutôt inquiète.
– Tout le monde en parle à la taverne Hsien-heng.
七斤嫂呆了一刻,忽而恍然大悟的道,“这可好了,这不是又要皇恩大赦了么!”
七斤又叹一口气,说,“我没有辫子。”
“皇帝要辫子么?”
“皇帝要辫子。”
“你怎么知道呢?”七斤嫂有些着急,赶忙的问。“咸亨酒店里的人,都说要的。”
Alors, Belle-sœur Sept-livres eut l'intuition que les choses tournaient mal, car on était au courant de tout à la taverne Hsien-heng. La colère la prit quand elle jeta un coup d’œil sur le crâne rasé de son mari : c'était sa faut ! Elle lui en voulut, le détesta, puis fataliste, remplit un bol de riz qu'elle poussa devant lui :
– Dépêche-toi de manger ! Les pleurs ne te feront pas pousser une natte !
Le soleil avait retiré ses derniers rayons et la fraîcheur commençait à monter de la rivière, dont la surface s'obscurcissait. On n'entendait sur l'aire que le bruit des bols et des baguettes, et la sueur baignait encore le dos des hommes. Quand Belle-sœur Sept-livres, qui avait déjà expédié trois bols de riz leva par hasard les yeux, son cœur s'emballa : à travers le feuillage des arbres à suif, elle vit Tchao-le-septième. Gros et court dans sa longue robe de coton bleu saphir, qui franchissait la planche servant de pont.
C'était le propriétaire de la taverne Mao-yuan, dans le village voisin, et le seul notable à quinze kilomètres à la ronde qui eût quelque chose du lettré. Du fait de son savoir, il émanait de lui comme un relent des temps anciens. Il possédait une dizaine de volumes du Roman des Trois Royaumes dans l'édition annotée par Kin Cheng-tan. On pouvait le voir les lire en s'arrêtant sur chaque caractère. Il connaissait non seulement les noms et prénoms des cinq « généraux tigres », mais il était à même de vous dire que Houang Tchong était aussi connu sous le nom de Han-cheng, et Ma Tchao sous celui de Meng-ki. Après la révolution, il avait enroulé sa natte au sommet de son crâne, à la manière des prêtres taoïstes. Il disait parfois, en soupirant, que l'empire n'en serait pas là si Tchao Tselong était encore de ce monde. Belle-sœur Sept-livre avait d bons yeux ; elle remarqua qu'il n'était plus coiffé à la taoïste ; son front était rasé et sa chevelure noire s'étalait sur son crâne. Elle comprit qu'un empereur avait dû monter sur le trône, que le port de la natte redevenait obligatoire, et que Sept-livre se trouvait en grand danger. C'est que M. Tchao ne revêtait pas sa robe sans raison spéciale ; en fait, il ne l'avait mise que deux fois en trois ans : lorsque Ah Qutre-le grêlé, avec lequel il s'était disputé, était tombé malade, et lorsqu'un certain Monsieur Lou, qui avait fait de la casse dans sa taverne, était mort. Il la portait donc pour la troisième fois et devait fêter un événement heureux pour lui autant que funeste pour l'un de ses ennemis.
Belle-sœur Sept-livres se souvint que deux ans plus tôt, un jour où il avait bu, son mari avait-traité M. Tchao de « bâtard » ; son intuition l'avertit aussitôt qu'il se trouvait donc en danger, et son cœur se mit à battre violemment.
Les hommes attablés se levaient au passage de Tchao-le-septième, et pointaient leurs baguettes vers leur bol en disant :
– Monsieur-le-septième, faites-nous le plaisir de vous joindre à nous !
Mais il les remerciait tous d'un signe de tête et poursuivait son chemin en disant « Continuez, je vous en prie ! » Il se dirigeait droit vers la table de la famille Sept-livres. Tout le monde se leva pour le saluer et il dit en souriant : « Continuez, je vous en prie ! » En même temps il examinait les plats sur la table.
– Voilà des légumes séchés qui sentent bien bon . Avez-vous entendu la nouvelle ?
Il se tenait derrière Sept-livres et faisait face à la femme de ce dernier.
– L’Empereur est remonté sur le trône, dit Sept-livres.
Belle-sœur Sept-livres le dévisagea, et dit se forçant à sourire :
– Puisque l'Empereur est remonté sur le trône, à quand l'amnistie générale ?
“皇帝坐了龙庭了。”七斤说。
七斤嫂看着七节的脸,竭力陪笑道,“皇帝已经坐了龙庭,几时皇恩大赦呢?”
– L'amnistie générale ? Il y en aura probablement une en temps voulu. Puis, la voix de Monsieur-le-septième se fit plus sévère : Mais qu'en est-il de la natte de Sept-livres ? C'est cela qui importe. Vous savez comment cela se passait à l'époque des Longs Cheveux, on vous conserviez votre natte et y perdiez la tête, ou vous gardiez la tête mais y laissiez vos cheveux...
Le sens profond de cette allusion classique échappa à Sept-livres et à sa femme, qui n'avaient pas étudié ; mais à entendre le savant Monsieur-le-septième parler de la sorte, ils comprirent que la situation était grave, que c'était irrévocable ; leurs oreilles se mirent à bourdonner comme s'ils eussent entendu énoncer leur propre arrêt de mort, et ils se trouvèrent incapables de prononcer le moindre mot.
– Chaque génération est pire que la précédente...
La vieille Grand-mère Neuf-livres, qui recommençait à bougonner, profita de l'occasion pour s'adresser à Monsieur-le-septième :
– De nos jours, les rebelles se contentent de couper à natte aux gens et personne n'a plus l'air bouddhiste ou taoïste ! A quoi ça ressemble ? Le rebelles d'hier n'étaient pas pareils. J'ai soixante-dix-neuf ans de vie, et c'est assez. Les Longs Cheveux* s'enveloppaient la tête avec de longues pièces de satin rouge qui leur descendaient jusqu'aux talons... Le prince portait du satin jaune, qui tombait en longs pans... Du satin jaune, du satin rouge, du satin jaune...
– A soixante-dix-neuf ans, j'ai bien assez vécu...
“一代不如一代,——”九斤老太正在不平,趁这机会,便对赵七爷说,“现在的长毛,只是剪人家的辫子,僧不僧,道不道的。从前的长毛,这样的么?我活到七十九岁了,活够了。从前的长毛是——整匹的红缎子裹头,拖下去,拖下去,一直拖到脚跟;王爷是黄缎子,拖下去,黄缎子;红缎子,黄缎子,——我活够了,七十九岁了。”
*La révolution paysanne des Taipings (1851-1864). La dynastie des Tsing (1644-1911) imposa aux hommes le port de la natte et le rasage de la partie antérieure du crâne. Les Taipings laissaient pousser entièrement leurs cheveux et on les surnomma Longs Cheveux. Les termes « conserver sa natte ou perdre la tête » figurent dans une loi décrétée au début de la Dynastie des Tsing. L'auteur veux ridiculiser M. Tchao-le-septième qui pose au « savant », mais commet une erreur historique.
– Comment faire ? Dit Belle-sœur Sept-livres en se levant, se parlant à elle-même. La famille est grande, et nous dépendons tous de lui...
– Il n'y a rien à faire, dit Monsieur-le-septième en secouant la tête. Le châtiment pour ceux qui n'ont pas de natte est écrit clairement, phrase après phrase, dans un livre. On ne tint pas compte des membres de la famille...
En entendant que c'était écrit dans un livre, Belle-sœur Sept-livres abandonna tout espoir. Dans son angoisse, elle fut reprise de haine contre son mari, pointa ses baguettes sous son nez et cria :
– Tu l'as bien cherché, cadavre ambulant ! Ne t'en plains pas ! Je te l'avais dit, au moment de la révolte ; tu aurais mieux fait de ne pas sortir la barque, de ne pas aller à la ville. Mais tu tenais à y aller, tu t'es précipité, et là, on t'a coupé la natte. Une si belle natte, noire et brillante ! Et maintenant tu n'as l'air ni d'un bouddhiste ni d'un taoïste. Bandit ! Tu ne l'auras pas volé, si on te punit, mais de quel droit nous mêles-tu à tout ça ? Gibier de potence, cadavre ambulant...
Les villageois s'étaient empressés de finir leur repas en voyant arriver Tchao-le-septième ; tous entouraient maintenant la famille Sept-livres attablée.
Sept-livres, qui savait combien se laisser insulter publiquement par sa femme était malséant à un homme en vue, releva la tête et, détachant les syllabes :
– Tu parles comme ça aujourd'hui, mais à l'époque...
– Cadavre ambulant de gibier de potence !
Belle-sœur Huit-livres-une-once était la meilleure personne de toute l'assistance. Elle avait sur le bras son fils de deux ans, né après la mort de son mari, et s'était installée à côté de Belle-sœur Sept-livres pour jouir du spectacle, mais jugeant que les choses allaient trop loin, elle chercha à les apaiser au plus vite :
– Ne vous en faites pas, Belle-sœur Sept-livres. Les hommes ne sont pas des dieux ; qui peut prévoir les événements ? N'avez-vous pas dit à l'époque qu'un homme n'avait pas à avoir honte d'être sans natte ? Et de plus, le grand mandarin du Yamen n'a pas encore fait de proclamation...
Belle-sœur Sept-livres avait rougi jusqu'aux oreilles. Elle brandit ses baguettes vers le nez de Belle-sœur Huit-livres-une-once et lui coupa la parole :
– Quoi ! Qu'est-ce que vous racontez ? Je suis tout de même un être sensé, est-ce que j'aurais pu dire des choses aussi ridicules ?
– J'ai pleuré pendant trois jours quand il a eu sa natte coupée, tout le monde m'a vue ! Même cette petite diablesse de Six-livres en a pleuré...
Celle-ci venait de vider son bol de riz ; elle tendit, criant qu'on le lui remplit. La mère, en colère, frappa la tête de l'enfant avec ses baguettes et cria :
– Veux-tu te taire, sale petite veuve dévergondée !
Paf ! Le bol vide glissa des mains de l'enfant, tomba sur l'arête d'une brique et se fit une large ébréchure. Son père bondit, le ramassa, essaya de rajuster les morceaux, lança une « merde ! » sonore et d'un claque expédia sa fille au sol, où elle resta couchée, en larmes ; la vieille Neuf-livres lui prit la main, la releva et l'entraîna en marmonnant :
– Chaque génération est pire que la précédente !
Ce fut au tour de Belle-sœur Huit-livres-une-once de se mettre en colère.
– Cessez d'attaquer les gens comme cela, avec vos insinuations, Belle-sœur Sept-livres, cria-t-elle.
八一嫂也发怒,大声说,“七斤嫂,你‘恨棒打人’……”
M. Tchao qui avait jusqu'ici assisté à la scène avec le sourire, sentit lui aussi la colère le gagner lorsque Belle-sœur Huit-livres-une-once assura que le mandarin du Yamen n'avait pas encore fait de proclamation. Il contourna la table et dit :
– Les insinuations, c'est peu de chose. Mais l'armée impériale sera bientôt ici. Et c'est le général Tchang qui assume la protection de l'empire, le savez-vous ? Il descend de Tchang Yi-teh, sa lance a dix-huit pieds et sa valeur est telle qu'il met dix mille braves en fuite. Il n'est personne qui puisse lui être opposé.Ses mains se refermèrent sur la hampe d'une lance invisible, et il fit quelques pas en direction de Belle-sœur Huit-livres-une-once de s'être mêlée de ce qui ne la regardait pas.
Quelques villageois dont la natte avait été coupée et qui la laissaient repousser, s'effacèrent en hâte derrière les autres de crainte d'être vus de Monsieur-le-septième ; mais il passa dans le groupe sans procéder à une inspection ; tournant le sentier qui menait sous les arbres à suif, il répéta : « Vous sentez-vous de taille à l'affronter? », et s'en alla par la planche qui servait de pont.
Tous étaient cloués sur place, puis réflexion faite, chacun se dit qu'il ne se sentait pas de taille à affronter un Tchang Yi-teh et en conclut que Sept-livres était un homme mort. Ayant enfreint la loi impériale, il n'aurait jamais dû prendre les grands airs qu'il se donnait, en fumant sa longue pipe, pour annoncer les nouvelles récoltées à la ville. Les paysans se dispersèrent, rentrèrent chez eux, fermèrent leurs portes et allèrent dormir. Belle-sœur Sept-livre rangea la vaisselle en grommelant, rentra table et tabourets, ferma la porte et se coucha.
Son mari porta le bol cassé dans la maison, s'assit sur le seuil et fuma. Il était si soucieux qu'il en oublia de tirer sur sa pipe ; et dans le fourneau de cuivre blanc de la pipe à l'embouchure d'ivoire en bambou moucheté, longue de six pieds, le feu s'éteignit doucement. Il lui semblait que le danger était imminent ; il devait dresser un plan, trouver un moyen de s'en tirer, mais tout était confus dans sa tête et il ne parvenait pas à rassembler ses idées : Des nattes, oui, des nattes ? Et une lance de dix-huit pieds... Chaque génération est pire que la précédente... L’Empereur est remonté sur le trône … Porter le bol ébréché en ville et lui faire mettre des agrafes... Qui est de taille à l'affronter ?... Et c'est écrit dans un livre... Qu'ils aillent donc tous avec leurs mères !...
Le lendemain matin de bonne heure, Sept-livres prit sa perche et conduisit comme d'habitude sa barque jusqu'à la ville. Il rentra à Lou-tchen vers le soir et regagna le village, avec sa pipe de six pieds, le bol à la main. Au cours du repas, il raconta à la vieille Grand-mère Neuf-livres qu'il avait fait réparer le bol ; l'ébréchure était si grande qu'il avait fallu seize agrafes. Une agrafe coûtant trois sapèques, la réparation était revenue à quarante-huit sapèques.
– Chaque génération est pire que la précédente, dit la vieille Grand-mère Neuf-livres, très mécontente, j'ai bien assez vécu. Trois sapèques l'agrafe ? Est-ce que nos agrafes coûtaient trois sapèques ? De mon temps... J'ai soixante-dix-neuf ans de vie...
Sept-livres continuait d'aller tous les jours à la ville, comme à l'ordinaire, mais l'atmosphère de son foyer était empoisonnée. La plupart ds paysans l'évitaient et ne venaient plus lui demander les nouvelles de la ville. Sa femme, perpétuellement de mauvaise humeur, le traitait à tout bout de champ de gibier de potence.
…
此后七斤虽然是照例日日进城,但家景总有些黯淡,村人大抵回避着,不再来听他从城内得来的新闻。七斤嫂也没有好声气,还时常叫他“囚徒”。
Quinze jours passèrent ; un soir, il trouva sa femme de fort bonne humeur et elle lui demanda :
– As-tu entendu quelque chose en ville ?
– Non, rien.
– L’Empereur est-il remonté sur le trône ?
– Personne n'en a parlé.
– Quelqu'un de la taverne Hsien-heng a-t-il dit quelques chose ?
– Rien non plus.
– Je crois que l'Empereur ne remontera pas sur le trône. Aujourd'hui, je suis passée devant le débit de vin de Monsieur-le-septième, il était assis et lisait ses livres, la natte enroulée sur le sommet de sa tête, et il n'avait pas sa robe...
– Tu crois qu'il ne remontera pas sur le trône ?
– Probablement pas.
Sept-livres est de nouveau considéré par sa femme et les villageois. L'été, sa famille dîne toujours sur l'aire, devant la maison, et les passants le saluent en souriant.
La vieille Grand-mère Neuf-livres a fêté ses quatre-vingts ans depuis longtemps ; toujours de mauvais humeur, mais toujours solide.
Les deux couettes de Six-livres sont devenues une grosse natte, et quoiqu'on lui ait bandé les pieds tout récemment, elle aide sa mère et copine sur l'aire, le bol à seize agrafes de cuivre à la main.
Il aurait chassé seslocataires, ces intrus qui ne portaient pas les noms de Tchen maiss'étaient permis de s'établir dans sa vieille maison ; ilsauraient d'ailleurs déménagé d'eux-même, sans qu'il eût pris lapeine de les congédier. 这是什么时态
La commotion était telle qu'il murmura en écho sans même s'en rendre compte 这里的commotion 的用法
谢谢您细致的分析与讨论:
作为初学者,我向来只把它全盘接受下来,很少专门思考。正好您提出来的,我也借此机会参与讨论一下:
我觉得,这是虚拟愈过去时,其虚拟语气,是sans que 这个连词决定的;愈过去时,表示过去时的谓语动词之前的动作,也就是在谓语动词déménager(条件式过去时)之前,陈士成“prendre la peine de congédier",费事来撵人。
当然,sans que是表否定的连词,也就是不用费那个事了,所以逻辑上显得有点儿绕。但如果真实施起来的话,可能还是要依这个时间顺序的。
commotion,我觉得是心里突然一惊,如“脑子嗡地一声”或“心里咯噔一下”那种感觉。
en 的用法,我也拿不准,先说说自己的想法吧:
en écho中,表示 以...的形式。
s'en rendre compte中,表示 de+名词或可以被显然指代的事物,这里,就指de + “陈murmurer"这套动作吧?
另外,我昨天的发表时,没注意效果,您一引用,我才发现,从openoffice上直接贴过来,会吃掉一些空格,造成很大的阅读不便,刚才把问题处理了,谢谢您 mettez en cause ce problème.
第三篇:《孔乙己》,摘自《Littérature chinoise》,1979年9月,译者未署名。(窃以为这篇译得水平一般)
Kong Yiji
孔乙己
Les débits de vin de Luzhen ne ressemblent pas à ceux des autres régions du pays. Ils ont tous, face à la rue, un comptoir à angle droit derrière lequel l'eau destinée à réchauffer le vin est maintenue toujours bouillante. Midi et soir, les hommes sortant du travail y viennent se payer une bolée ; il en coûtait quatre sapèques voici vingt ans, et cela en vaut dix aujourd'hui. Debout, appuyés au comptoir, ils consomment le vin chaud, et c'est la détente. Avec une sapèque de plus, on peut avoir une assiette de pousses de bambou salées ou de fèves à l'anis, pour accompagner la boisson ; avec une douzaine de sapèques, on obtient un plat de viande. Mais rares sont ceux qui peuvent se le permettre, la majorité des clients appartenant à la classe des court-vêtus. Seuls pénètrent dans la pièce adjacente, les porteurs de longue robe ; là, ils commandent vin et plats, s'asseyent et boivent à loisir.
Je commençai à travailler à l'âge de douze ans comme garçon à la Taverne Xianheng, à l'entrée du bourg. Le patron m'ayant dit que j'avais l'air trop bête pour servir les clients à longue robe, je travaillai dans la pièce d'entrée. Si les court-vêtus étaient d'une abord plus facile, pas mal d'entre eux n'en finissaient pas avec leurs exigences. Par plus de précaution, ils voulaient voir de leur yeux le vin jaune sortant de la jarre, vérifier si le pichet ne contenait pas un léger fond d'eau, enfin, surveiller son immersion dans l'eau chaude. Allonger le vin sous une inspection aussi stricte n'était guère facile. Aussi le patron décréta-t-il au bout de quelques jours que je ne convenais pas pour cette tâche. J'avais heureusement été recommandé par quelqu'un d'influent, il ne put donc me renvoyer, mais je fus transféré au service monotone du chauffage du vin.
Dès lors, je passai mes journées debout derrière le comptoir, tout à mes occupation. Je donnais satisfaction, mais je trouvais cela fastidieux et sans aucun intérêt. Le patron avait l'air féroce, les clients constituaient un troupeau morose, donc pas question d'éprouver tant soit peu de gaieté. Je ne parvenais à rire un moment que lorsque Kong Yiji pénétrait dans l'endroit. C'est pourquoi son souvenir m'est resté.
Il était le seul client à longue robe à boire son vin debout. Il était grand, le teint livide, et souvent des estafilades couraient entre ses rides. Sa barbe était longue, négligée, striée de blanc. Il portait une longue robe, mais sale, déchirée et qui semblait n'avoir été l'objet d'aucun lavage ni raccommodage depuis dix ans. Quand il ouvrait la bouche, ce n'était que formules littéraires classiques dont la moitié demeuraient inintelligibles. Kong étant son patronyme, il avait été surnommé « Kong Yiji », trois des six premiers caractères d'un modèle d'écriture pour écoliers : « Shang Da Ren Kong Yi Ji » phrase dont personne ne connaissait exactement le sens. Dès qu'il apparaissait, tout le monde le regardait et gloussait. Puis quelqu'un lui lançait :
– Kong Yiji ! Vous avez sur le visage de nouvelles estafilades !
Il ignorait la remarque, alignait neuf sapèques et commandait au comptoir :
– Chauffez-moi deux bols de vin et servez-moi une assiette de fèves à l'anis.
On le plaisantait alors à haute voix :
– Vous avez sûrement encore volé !
Kong Yiji ouvrait de grands yeux, demandant :
– Pourquoi salir sans preuves la réputation d'un homme ?
– Belle réputation ! Avant-hier, j'ai vu qu'on vous avait attaché et battu pour avoir volé des livres à la famille He.
Kong Yiji rougissait, et les veines saillaient sur son front tandis qu'il rétorquait :
– Prendre un livre ne peut être tenu pour un vol... Prendre un livre, c'est une affaire de lettré, cela ne peut être tenu pour un vol !
Puis suivaient des citations des classiques difficiles à saisir ; du genre « L'homme bien né reste intègre même dans la pauvreté », et un embrouillamini d'expressions de lettré, tant et si bien que chacun éclatait de rire et que la gaieté gagnait tout l'estaminet et les alentours.
J'avais entendu raconter qu'il avait étudié les classiques mais n'avait jamais été reçu aux examens officiels. Incapable de gagner sa vie, il s'était enfoncé de plus en plus dans la pauvreté, jusqu'à être pratiquement réduit à la mendicité. Heureusement pour lui qu'il était bon calligraphe et que des travaux de copie lui procuraient son bol de riz. Par contre, il avait malheureusement de mauvaises habitudes : il aimait boire et il était paresseux. Aussi disparaissait-il invariablement au bout de quelques jours, emportant livres, papiers, pinceaux et encrier de pierre. Le fait s'étant répété à plusieurs reprises, plus personne ne voulait de lui comme copiste. Et il ne lui restait plus qu'à chaparder à l'occasion. Mais chez nous, à l'estaminet, il était d'une conduite exemplaire. Jamais il ne manquait de payer, quoique, lorsqu'il était à court d'argent, son nom eût fait quelques apparitions sur le tableau où étaient notés les débiteurs. Il réglait toujours dans le mois, à la suite de quoi l'on effaçait son nom.
De cramoisi, son visage retrouvait son teint normal après un demi-bol de vin. Mais c'est à ce moment que quelqu'un demandait :
– Kong Yiji, savez-vous vraiment lire ?
Et comme il toisait son interlocuteur, semblant tenir pareille question pour méprisable, d'autres continuaient :
– Comment se fait-il que vous n'ayez même pas pu décrocher la moitié d'un titre de bachelier !
D'un coup, il devenait la désolation même, tout abattu. Dans son visage couleur de cendre, ses lèvres marmonnaient d'inintelligibles citations classiques. Et chacun alors se mettait à rire de si bon cœur que la joie débordait à nouveau de l'estaminet.
Dans ces occasions-là, je pouvais rire avec les autres sans me faire attraper par le patron. En fait, il arrivait souvent à celui-ci d'interpeller Kong Yiji pour faire rire les clients. Sachant que toute conversation avec eux était impossible, Kong Yiji s'adressait aux enfants. Un jour, il me demanda :
– As-tu été à l'école ?
Je répondis affirmativement.
– Je vais donc te poser des questions, dit-il. Comment écris-tu le caractère « hui » (huixiang- anis) dans fèves à l'anis ?
« Je ne me laisserai pas mettre à l'épreuve par ce mendiant ! » me dis-je. Et je me détournai sans plus m'occuper de lui . Il attendit un long moment, puis, plein de sérieux, il poursuivit :
– Ainsi, tu ne sais pas l'écrire ? Je vais te montrer. Essaie de le retenir. Tu ne devrais pas oublier ce genre de caractères, car ils te seront utiles plus tard pour établir tes comptes, quand tu auras un débit à toi.
Posséder un débit, c'était un projet bien lointain, et par ailleurs, le patron n'enregistrait jamais de fèves à l'anis dans son livre de comptes. A la fois amusé et exaspéré, je répondis nonchalamment : « Qui voudrait de vous comme professeur ? Ne s'agit-il pas de hui qui a l'herbe pour radical ? »
Il fut enchanté et, tapotant le comptoir de deux de ses ongles démesurés : « Bien, bien ! Dit-il, en opinant de la tête. Seulement, hui peut s'écrire de quatre manières. Les connais-tu ? » Ma patience était à bout, je me renfrognai et m'éloignai. Kong Yiji avait trempé un doigt dans son vin et s'apprêtait à écrire les caractères sur le comptoir ; mais mon peu d'enthousiasme le fit soupirer et il parut déçu.
Parfois, entendant rire, des enfants du voisinage arrivaient pour participer à la gaieté, et entouraient Kong Yiji. Il leur donnait des fèves parfumées à l'anis : une à chacun. Après les avoir mangées, les enfants traînaient là, le regard sur l'assiette. Saisi d'inquiétude, il la couvrait alors avec sa main et, se penchant en avant, disait : « Je n'en ai plus beaucoup, plus beaucoup ! » Il se redressait ensuite, jetait un coup d’œil sur les fèves, et secouait la tête. « Pas beaucoup ! Peut-on dire qu'il en a beaucoup ? Non, vraiment, pas beaucoup ! » Comme il s'exprimait dans la langue savante, les enfants déguerpissaient en éclatant de rire.
Cependant, si Kong Yiji était de bonne compagnie, nous nous portions fort bien sans lui.
孔乙己是这样的使人快活,可是没有他,别人也便这么过。
Un jour, peu avant la Fête de la Mi-Automne, comme le patron s'appliquait à relever ses comptes, en décrochant le tableau du mur, il dit soudain : « Cela fait longtemps que Kong Yiji ne s'est pas montré. Il doit toujours dix-neuf sapèques ! » C'est ainsi que je me rendis compte que nous ne l'avons pas vu depuis longtemps.
– Comment pourrait-il venir ? Dit l'un des clients. On lui a cassé les jambes...
– Ah ! fit le patron.
– Il a volé encore une fois. Mais cette fois, il a eu la folie de s'en prendre à M. Ding le licencié. Comme si on pouvait le voler, celui-là !
– Et ensuite ?
– Ensuite ? Il a tout d'abord dû faire des aveux par écrit, puis il a été battu. Presque toute la nuit. Même qu'il a eu les jambes brisées.
– Et alors ?
– Eh bien, ses jambes ont été brisées.
– Oui, mais après ?
– Après ? Oui sait ? Il est peut-être mort.
Le patron ne posa plus de question et se remit lentement à faire ses comptes.
Le vent d'automne se fit plus froid après les fêtes. Jour après jour, l'hiver approchait. Je dus revêtir ma veste ouatée et, toute la journée, je restais près du feu. Un après-midi, comme le débit était vide et que j'étais assis là, les yeux clos, j'entendis :
– Mettez un bol de vin à chauffer !
La voix, fort basse, m'était familière. Je regardai, mais ne vis personne. Je me levai, lorgnai du côté de la porte : Kong Yiji était assis au pied du comptoir, la face vers la porte. Le visage terreux et décharné, il était dans un état lamentable. Vêtu d'une veste doublée en loques, il était assis, les jambes croisées, sur une natte qu'une corde de paille rattachait à ses épaules. Il me vit et reprit :
– Mettez un bol de vin à chauffer !
Le patron passa la tête au-dessus du comptoir :
– Est-ce Kong Yiji ? Vous me devez toujours dix-neuf sapèques !
– Cela... Je le réglerai la prochaine fois, répondit Kong Yiji en levant tristement la tête. Je paie comptant ; que le vin soit bon !
Le patron rit et, comme toujours, il ajouta :
– Vous avez encore volé, Kong Yiji !
Mais au lieu de se récrier comme d'habitude, Kong Yiji répondit simplement :
– Ne plaisantez pas avec moi !
– Plaisantez ? Si vous n'avez pas volé, pourquoi vous a-t-on brisé les jambes ?
– Cassé en tombant, dit Kong Yiji d'une voix sourde, en tombant, en tombant...
Ses yeux suppliaient le patron d'en rester là. Quelques personnes étaient arrivées entre-temps et tout le monde se mit à rire. Je chauffai le vin, allai le porter et le déposai sur le seuil. Il sortait quatre sapèques de la poche de sa veste en loques et les posa sur ma paume. Il avait dû s'aider de mes mains pour ramper jusqu'ici, car elles étaient couvertes de boue. Il but son vin et, à la force de ses mains, s'éloigna lentement au milieu des rires et des commentaires.
Après cette scène, le temps passa sans qu'il reparût. A la fin de l'année, le patron décrocha le tableau et dit : « Kong Yiji doit toujours dix-neuf sapèques ! » A la Fête des Barques-Dragons* de l'année suivante, il constata une fois de plus : « Kong Yiji doit toujours dix-neuf sapèques. » Mais, à la Fête de la mi-Automne, il ne dit plus rien. Et une autre année arriva sans que Kong Yiji ait donné signe de vie.
自此以后,又长久没有看见孔乙己。到了年关,掌柜取下粉板说,“孔乙己还欠十九个钱呢!”到第二年的端午,又说“孔乙己还欠十九个钱呢!”到中秋可是没有说,再到年关也没有看见他。
*Le 5e jour du 5e mois lunaire.
Je ne l'ai plus jamais revu. Oui, Kong Yiji devait être mort.
鲁迅写的是
"“不多不多!多乎哉?不多也。”于是这一群孩子都在笑声里走散了。"
译者是这样译的:
"« Pas beaucoup ! Peut-on dire qu'il en a beaucoup ? Non, vraiment, pas beaucoup ! » Comme il s'exprimait dans la langue savante, les enfants déguerpissaient en éclatant de rire. "
原文里, 孔乙己一付酸腐味. "多乎哉?不多也." 怎样才能体现出这种味道. 可惜译文没有很好体现. 译者只是自己加上了一个辅助说 "Comme il s'exprimait dans la langue savante, " 这不是原文里的句子. 而且 译者的法文句子也体现不出 "la langue savante" 的味道.
我觉得, 这个翻译可以再多加推敲.
我先 抛砖引玉, 给一个不太成熟的推荐:
"Ceci fait-il une quantité ? non, on ne peut guère le dire!"
另外, dans la langue savante 也许可以换成 avec son petit air studieux.
效果更好些.
确如老师所言,quatre manières,有歧义。我觉得老师给出的formes,就已经很朴实并准确了,dérivées也很好。
关于茴的写法,我也给出一个修改意见吧:un radical significatif qui figure l'herbe et un radical phonétique qui se prononce hui.
好处是,基本保住了原意,并且外国人看了也不费解。坏处是太长了,不够简洁,显不出“我”当时轻蔑与不耐烦的情态。