Le Baiser de l'Hotel de Ville, Paris, 1950 by Robert Doisneau
Robert Doisneau was born in 1912 in the Banlieue (suburbs) of Paris.
He resided in Paris, and passed away in 1994. Known for:
Romantic and documentary images of Paris, France. Most Popular Images: "Le Baiser de l'Hôtel de Ville" ; "Last Waltz on Bastille Day";
"Creatures de Rêve" Did you know ... ?
• Doisneau worked for Vogue, Life and other well-known magazines.
• He only photographed in France. Quote: “it's better, isn't it, to shed some light on those people who are never in the limelight?" General Format: Most photographs are approximately 12" x 16" and 16" x 20" silver gelatin. How many photographs exist?
Doisneau printed in unnumbered editions. Prices:
$4,500 - $10,000 How are the photographs printed and signed? Most of the photographs are signed au recto and au verso in ink. Vintage:
Vintage photographs are rare. Technical Information:
He used Rolleiflex and Leica cameras. Portfolios:
None. Books - In Print: Robert Doisneau: A Photographer's Life, hardback $75.00 Availability: A Gallery has a wonderful selection of Doisneau's photography. Price History:
1970s: $200
1980s: $500 - $1,500
1990s: $1,500 - $5,000
2003: $2,000 - $15,000
Robert Doisneau est le figures emblématique de cette photographie humaniste. L’année 2005 fut une année faste pour la cote de Doisneau qui pris plus de 50% et signa son record pour le célèbre Baiser de l’hôtel de ville de 1950, qui décuplait son estimation pour culminer à 155 020 € (25 avril, Artcurial, Paris) ! Cette enchère a déclenché l’engouement des collectionneurs pour des tirages tardifs du même cliché. Le 16 mai dernier, par exemple, un exemplaire du fameux Baiser tiré vers 1985 décrochait tout de même 9 500 £, soit près de 14 000 € chez Sotheby’s Londres. 10 ans auparavant, les tirages postérieurs du Baiser de l’hôtel de ville cotaient entre 1 500 et 3 500 € soit, en moyenne, le prix actuel pour un cliché de Doisneau moins « mythique ». En portraitiste des plus grands artistes de l’époque, Doisneau a fixé l’image de Fernand Léger ou de Pablo Picasso, clichés sujets à surenchère lors des dernières ventes comme Les Pains de Picasso, une prise de vue datée de 1952 (tirée en 1987), estimée 600 € par la maison Sotheby’s et qui décrochait 6 000 € le 12 octobre dernier à Paris. Actuellement, celui que l’on a surnommé l’œil de Paris est exposé jusqu’au 17 février 2007 à l’Hôtel de ville de Paris (Paris en liberté depuis le 19 octobre 2006).
Le baiser de l’Hôtel de Ville. Je n’aimais pas cette photo. Tout ce noir et ce blanc, ce gris flou, c’était juste les couleurs que je ne voulais pas pour la mémoire. L’amour happé au vol sur un trottoir, la jeunesse insolente sur fond de grisaille parisienne bien sûr… Mais il y avait la cigarette que le garçon tenait dans sa main gauche. Il ne l’avait pas jetée au moment du baiser. Elle semblait presque consumée pourtant. On y sentait qu’il avait le temps, que c’était lui qui commandait. Il voulait tout, embrasser et fumer, provoquer et séduire. La façon dont son écharpe épousait l’échancrure de sa chemise trahissait le contentement de soi, la désinvolture ostentatoire. Il était jeune. Il avait surtout cette façon d’être jeune que je n’enviais pas, mais qui me faisait mal, pourquoi ? La position de la fille était émouvante : son abandon à peine raidi, l’hésitation de son bras droit surtout, de sa main le long du corps. On pouvait la sentir à la fois tranquille et bouleversée, offerte et presque réticente. C’était elle qui créait le mystère de cet arrêt sur image. Lui, c’était comme s’il bougeait encore. Mais elle, on ne la connaissait pas. Il y avait son cou fragile, à découvert, et ses paupières closes –moins de plaisir que de consentement, moins de volupté que d’acquiescement… au bonheur, sans doute. Mais déjà le désir avait dans sa nuque renversée la crispation du destin ; déjà l’ombre penchée sur son visage recelait une menace. Je trichais, évidemment ; je mentais, puisque je les connaissais. Enfin, je croyais les connaître.
L’homme au béret, la femme aux sourcils froncés donnaient à la scène une tension qui en faisait aussi le prix. Et puis il y avait Paris, une table, une chaise de café, l’Hôtel de Ville, la calandre d’une automobile. Dans la rumeur imaginée, le gris brumeux, il y avait la France aussi, toute une époque. Trop. C’était beaucoup trop facile, la photo de Doisneau, beaucoup trop à tout le monde. On la trouvait partout. Le Baiser de l’Hôtel de Ville. 1950. Comme on eût dit L’Embarquement pour Cythère ou Le Déjeuner sur l’herbe.
Sur le tourniquet des présentoirs, Boubat, Cartier-Bresson, Ronis, Lartigue, Ilse Bing, Sabine Weiss connaissaient en étrange succès. Etait-ce leur seul regard, ou leur époque, qui triomphait ? Le Solex, le petit-beurre, la 4 CV apparaissaient comme le dernier Art nouveau. Tout le monde prêtait un sourire amusé à cette France d’après-guerre qui avait du talent sans le savoir.
Quelle idée avait-il eu de prétendre que c’était eux les amoureux ? Y avait-il cru un instant, ou fait semblant d’y croire ? J’en doutais. Il m’avait beaucoup appris le doute, et j’avais douté de tout, à travers lui. La photo de Doisneau prétendait au réel, et c’était un mensonge. Quelqu’un m’avait dit un jour : « On a retrouvé les amoureux du Baiser de l’Hôtel de Ville. Je croyais que c’était tes parents ? » J’avais haussé les épaules, un peu décontenancé, sans plus. Les derniers temps, je n’accréditais plus la légende que du bout des lèvres. D’ailleurs, ma mère ne s’était jamais reconnue. Elle parlait de la gourmette, des boutons du cardigan, qui ne pouvaient être les siens. Mais lui entrait alors dans une sourde colère –être amoureux de l’Hôtel de Ville semblait si important à ses yeux- et, lasse, elle concédait des « peut-être, après tout… Tu as sûrement raison… »
Tous deux étaient parfaitement plausibles. Lui, avec cette allure élancée que mes cinq ans connaîtraient encore, sa coiffure si savamment folle, son sourire ironique –sur la photo, on ne voyait pas sa bouche, mais on sentait bien qu’elle pouvait blesser. Lui, avec cette aisance féline qui me pétrifiait à l’avance, me faisait le corps gourd, par un mélange d’admiration et de secrète opposition. Elle surtout, si reconnaissable dans l’infime retenue de son abandon, l’art de baisser les paupières sur ce regard gris dont la lumière au fil des ans se ferait d’abord un peu moins vive, puis glisserait vers la mélancolie.
Il aurait fallu que je regarde le Baiser de l’Hôtel de Ville comma une photo de Doisneau. Je n’y parvenais pas. Certains mensonges sont plus forts que le réel. D’une certaine façon, ces deux amoureux étaient encore plus vrais de n’être pas ceux que j’avais cru y voir. De cette supercherie naïve à mes regards d’enfant, il y avait moins d’écart que d’eux-mêmes à ce qu’ils deviendraient.
Toutes les photos des années cinquante m’étaient devenues, à des degrés divers, des photos de famille ? J’aurais voulu faire comme Léautaud, qui s’emparait du Neuveu de Rameau chaque fois qu’il en découvrait un exemplaire chez un bouquiniste –de peur qu’il ne tombe « en de mauvaises mains ».
J’aurais dû y renoncer. Doisneau était sur tous les présentoirs, dans toutes les vitrines. Les albums noir et blanc avaient même pénétré dans la très classique librairie Minard où je travaillais. Il n’y avait rien à faire contre cette implacable organisation de la nostalgie. Et sans trop me l’avouer, j’aimais bien que mon enfance soit devenue un classique, qu’on puisse l’exposer, la vendre, que le commerce lui sourie. Tout ce dont les gens ne se soucient guère quand ils vivent, le fuyant des jours, semblant cristallisé sur ces photos. Paris des palissades, des pavés, des écoliers en sarrau, des grands espaces de Ménilmontant, des boîtes à lait, des bals du 14 juillet.
La nostalgie seule ne faisait pas le vrai de ces clichés. Je me disais parfois que le charme était davantage dans l’équilibre fragile de la distance –assez loin pour me dissuader de l’idée de la reconquête, assez proches pour contenir une part de moi, ces photos étaient à juste portée.
Voir une photo de Doisneau en passant, et la mémoire faisait semblant de s’éveiller, mais demeurait dans les eaux clames de sa bonne conscience : une touche de regret qui se serait bien gardée de déraper vers le remords, une ombre de mélancolie qui donnait un charme de plus au présent. Mais regarder longtemps une photo de Doisneau, c’était très dur. Une histoire qui me concernait, et dont je savais que la fin serait triste –à peu près la tragédie comme on me l’avait définie en classe.
Le noir et blanc, cette rigueur qui sonnait juste, mettait les destins en relief. Le noir et blanc sur le mobilier sombre, les trottoirs, tout le monde était presque pauvre, en ce temps-là, chacun soumis au cercle de famille aussi. Les gosses dans les rues avaient des parents qui se disputaient et ne divorçaient pas. Le noir et blanc était cruel. Il m’avait rendu lâche.
(…) L’époque était revenue. Plus étrange encore : les gens qui ne l’avaient pas connue s’y reconnaissaient. Les lycéens achetaient les photos de Doisneau comme ils achetaient celles de James Dean, de Marilyn. Et les amoureux s’embrassaient dans les parcs, dans les cafés, sur les trottoirs…
On affichait partout mon Atlantide, et je voyais flotter un monde que je croyais si lourd –et englouti. Je doutais de plus en plus, sans cesse confronté au mensonge. Pendant longtemps je m’étais demandé : est-ce que ce sont bien eux ? Mais les questions avaient changé. Où étais-je dans tout cela ? Avais-je réellement un passé, ou seulement celui des autres à partager ?